Loi applicable à une succession internationale, intersection des ordres juridiques Maroc/France

Les successions à l’international procurent très souvent des situations particulières et complexes au vu des règles de droit applicable, en raison de la mixture des régimes juridiques qu’il peut y avoir dans une ouverture de succession, d’autant que l’élément d’extranéité demeure le fait générateur d’une telle situation. Une succession est réputée « internationale » dès lors qu’un élément d’extranéité existe, soit un des éléments constitutifs de la succession est à l’étranger, c’est le cas notamment du défunt qui décède dans un pays autre que celui de sa nationalité d’origine, ou bien laissant un bien dans un état autre que celui de sa nationalité ou sa résidence, ou encore si l’un des héritiers est de nationalité différente de celui du défunt.

C’est dans cette optique que notre intérêt s’oriente particulièrement vers cette situation de succession transfrontalière, se focalisant sur la conjoncture franco-marocaine.

Généralement, la transmission des biens suite à un décès peut se faire de façon naturelle, à savoir le cas d’une succession légale ou autrement dit «ab intestat »[1] qui fait l’objet de dévolution de succession conformément à la loi applicable , ou bien cela peut se faire aussi à travers la rédaction d’un testament dont les successeurs sont déterminés par le cujus[2].

1-Le recours au testament à l’égard du droit marocain : Cas ou les biens du défunt sont  situés Maroc

Prenons le cas notamment d’un citoyen Français résidant au Maroc, et qui souhaiterait soumettre l’intégralité des dispositions de succession à son droit national, le droit Français. Il convient de définir quels éventuels effets aura l’application des dispositions testamentaires au regard du droit marocain.

Au Maroc, le droit successoral est principalement régi par le Code de la Famille[3], inspirée de la loi musulmane (Chariaa). En vertu du texte de loi, l’article 2 dispose que :  « Les dispositions du présent Code s’appliquent :

 1) à tous les Marocains, même ceux portant une autre nationalité ;

2) aux réfugiés, y compris les apatrides conformément à la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

3) à toute relation entre deux personnes lorsque l’une d’elles est marocaine ;

4) à toute relation entre deux personnes de nationalité marocaine lorsque l’une d’elles est musulmane.

Les Marocains de confession juive sont soumis aux règles du statut personnel hébraïque marocain. »

Dès lors, la loi marocaine s’appliquera dans les quatre cas de figure énumérés dans l’article 2, le seul le cas où la loi Marocaine ne s’applique pas est le cas d’un héritage entre deux étrangers non musulmans.

En revanche, si l’héritier ou le défunt est de nationalité étrangère et de confession musulmane, le Code de la Famille marocain pourrait trouver application du fait d’une jurisprudence constante qui a étendu le champ d’application de l’article 2 paragraphe 4) aux musulmans non marocains.[4]

En outre, l’article 18 du « Dahir sur la condition civile des français et des étrangers » [5] dispose qu’un étranger non marocain peut soumettre la succession à son droit national.

« Article 18 : La dévolution héréditaire des meubles ou des immeubles situés dans le protectorat français du Maroc est soumise à la loi nationale du défunt, en ce qui concerne la désignation des successibles, l’ordre dans lequel ils sont appelés, les parts qui leur sont attribuées, les rapports, la quotité disponible et la réserve. »

Ainsi, dès lors qu’un citoyen Français et ses héritiers ne sont pas musulmans ou marocains, ou juif de nationalité marocaine, il pourra se soumettre à son droit national.

Le rôle que peut jouer un testament, c’est justement l’attribution du patrimoine du défunt, intégralement ou en partie, en faveur des légataires. Se caractérisant particulièrement par le fait que c’est un acte unilatéral, volontaire et prenant effet qu’après la mort du testateur. D’où l’intérêt par conséquent, de choisir une loi applicable pour la succession lors de la rédaction du testament. 

En application des règles de droit international privé, il est important de noter que le règlement (UE) n° 650/2012[6], tel qu’applicable pour la France (état membre), a été porteur d’une innovation considérable, à savoir la règle de rattachement étant la loi choisie par le défunt ou bien la loi de l’Etat où le défunt avait sa résidence habituelle avant son décès. Le lieu de résidence du défunt au moment du décès constitue désormais le facteur de rattachement par défaut. La loi du domicile s’appliquera à tous les biens constituant la succession du défunt.

A l’égard du régime marocain, il convient de noter que les tribunaux marocains reconnaissent automatiquement l’exéquatur aux actes et jugements étrangers visant à liquider les biens des étrangers non musulmans conformément à leur droit national.

Les notaires marocains procèdent généralement à la liquidation des biens des étrangers non musulmans selon les lois du pays du défunt, dont les modalités peuvent être déterminées au moyen des certificats de coutume délivrés par l’autorité compétentes de l’État dont dépend le défunt.

De ce fait, la professio juris  étant un acte  permettant au défunt se choisir sa loi nationale pour la succession, s’avère une option opportune pour toute personne qui souhaite de son vivant appliquer une loi spécifique à sa succession et ainsi éviter l’application d’une loi non désirée. En conséquence, l’acte de professio-juris rejoint parfaitement, dans ce cas, la règle de conflit prévue par l’article 18 du DCC  qui renvoie lui aussi à la loi nationale du défunt qui régira toute sa succession.

Parallèlement, le code de la famille définit ce mode comme étant l’acte par lequel un testateur lègue de son vivant une partie de ses biens à une autre personne (Article 277). Ainsi, la loi marocaine porte la spécificité du critère de la religion, étant donné qu’un musulman ne peut établir un testament en faveur d’un héritier de droit, un enfant par exemple, sauf permission des autres héritiers légaux.

2-Cas ou les biens du défunt sont situés en France

Les situations dans lesquelles la succession est liée à la loi nationale du défunt : Pour un Marocain qui réside au Maroc, naturellement il sera soumis à la règle de conflit prévues dans l’article 2 du Code de la famille pour sa succession.

Quant à la succession des Français résidant au Maroc, celle-ci sera liquidée conformément à la loi française, en raison de la nationalité française du défunt. Elle ne sera pas régie par la loi marocaine (loi de l’État ou la loi où le défunt résidait au moment de son décès, comme indiqué à l’article 21 § 1 du règlement Successions), mais plutôt par la loi française. L’article 18 du DCC stipule que la succession des Français résidant au Maroc doit être rattachée à sa loi nationale.

 Les Marocains qui vivent en France ne peuvent pas être soumis à la loi de l’État où le défunt réside, conformément à l’article 21 § 1 du règlement Successions. La succession sera liquidée conformément aux règles énoncées dans le livre V du Code de la famille. Ce dernier sera appliqué aux Franco-Marocains résidant au Maroc conformément à l’alinéa premier de l’article 2 de ce code(tel le cas pour les binationaux), et cela sans prendre en considération le lieu de résidence habituelle du défunt.

Conclusion

Il est à noter que le Code de la famille montre clairement la corrélation entre le droit de la famille au Maroc et les principes du Coran. L’islam étant la religion officielle de l’État, il était essentiel que les principes et les références du droit de la famille soient cohérents avec les objectifs religieux.

En référence à l’alinéa 4 de l’article 2 du Code de la famille, la loi marocaine sera applicable à la succession qui sera établie au Maroc pour le cas d’un Français musulman. Dans cet exemple, le critère de la religion est déterminant dans la loi applicable au regard du droit marocain. En l’occurrence, l’arrêt de la Cour suprême n 1974 confirme cette position en consacrant le privilège de la religion, à savoir la compétence du tribunal pour statuer sur la succession, la nationalité, la situation des biens successoraux.

En dépit de toute considération, la disparité entre les deux ordres juridiques dans ce domaine laisse la porte ouverte au débat quant à la conclusion de tout processus judiciaire au vu d’une liquidation de succession, en particulier dans l’application des jugements. Le droit de succession reste une matière qui est traité au cas par cas, dans ce contexte, l’une des problématiques classiques à soulever demeure celle de l’ordre public international.


[1] Sans testament.

[2] Le défunt.

[3] Loi n° 70-03 sous le Dahir n° 1-04-22 du 12 hija 1424 (3 février 2004).

[4] TPI Casa Anfa, 24 janv. 1997, n° 96/2003.

[5] « Dahir sur la condition civile des français et des étrangers » du 12.08.1913)

[6] Le règlement UE n°650/2012 sur les successions internationales.

Par Ahmed Eddebbagh – Legal Counsel Westfield

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